Depretto Catherine LA CENSURE À LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE (1917-1953) : ÉTAT DE LA RECHERCHE

24 октября, 2019
Depretto Catherine LA CENSURE À LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE (1917-1953) : ÉTAT DE LA RECHERCHE (70.91 Kb)

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LA CENSURE À LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE
(1917-1953) : ÉTAT DE LA RECHERCHE
PAR
CATHERINE DEPRETTO[1]
 
Был вас
                                                                                Арзамас
Был у нас
Опояз…
Там и тут
Институт
И гублит
И Главлит
И отдел культурный,
Но Глалит бдит
И агит сбит;
Это ж все быт
Быт литературный[2].
Parmi les champs dernièrement ouverts à la recherche figure en bonne place la question de la censure à la période soviétique, non que le sujet n”ait été abordé auparavant, mais, tabou en U.R.S.S., il était l”apanage des chercheurs occidentaux, contraints de travailler le plus souvent à partir de sources publiées[3]. Aussi l”ouverture des archives et la disparition des formes les plus dures de cen­sure, avec la fin du successeur du Glavlit en 1991, ont-elles radicalement modifié la situation, en ouvrant l”accès à une masse considérable de documents inédits. Dans un premier temps, des publications qui n”échappaient pas à la recherche du sensationnel ont surtout concerné des personnalités connues, parti-
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culièrement persécutées par le régime, puis des travaux de fond ont commencé à être engagés. Des conférences internationales sur le sujet ont été organisées ; des monographies et recueils de documents ont été publiés[4]. Sans avoir fondamenta­lement remis en cause ce qu”on pouvait savoir, dans ses grandes lignes, du contrôle auquel était soumis en U.R.S.S. tout texte publié, la mise au jour des documents d”archives a cependant permis d”affiner grandement certains épi­sodes tristement célèbres de l”histoire culturelle de la Russie soviétique et a jeté les bases d”une étude institutionnelle sérieuse de la censure. Mais, ces publi­cations ont aussi fait apparaître l”ampleur du chantier et la complexité des problèmes, une certaine surabondance de sources entraînant parfois des phéno­mènes d”opacité[5]. En outre, les fonds dont on dispose sont loin d”offrir une base documentaire correcte : beaucoup de documents ont été détruits et, comme pour d”autres secteurs, il est très difficile d”arriver à reconstituer des séries continues. Quant aux années 1922-1938 du fonds du Glavlit, conservé au GARF, elles sont toujours portées disparues[6].
Les difficultés soulevées par l”étude de la censure tiennent aussi à la nature même du phénomène : à partir d”une certaine date, le propre de la censure en U.R.S.S. a été son caractère secret, donc insaisissable ; le mot même était tabou et les archives fermées. À ces difficultés s”ajoutent d”autres obstacles qui tien­nent à la situation particulière de la littérature et de l”ensemble de la culture en U.R.S.S. Comme beaucoup d”autres domaines, ce secteur était « encastré » dans l”État, si bien que l”histoire de la littérature comme celle de la censure supposent une bonne maîtrise de l”histoire de l”U.R.S.S. en général, et, en particulier, une connaissance approfondie de l”appareil d”État et du Parti. Or, il reste encore des zones d”ombre : un des premiers travaux qui éclaire vraiment le fonctionnement du Bureau politique dans les années trente, celui d”Oleg Xlevnjuk par exemple, n”est paru que tout récemment[7]. Aussi n”est-il pas étonnant que la plupart des spécialistes qui, en Russie, se penchent sur les questions de censure soient des historiens de formation, D. Babicenko, A. Bljum, T. Gorjaeva, M. Zelenov…
Enfin le sujet de la censure relance le débat tournant autour de la question du totalitarisme[8]. En simplifiant, on pourrait dire que, dans l”hypothèse totali­taire, l”idéologie est dominante, efficace et contrôle absolument une société
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atomisée. Tout ce qui s”est passé en U.R.S.S. dans le domaine culturel et consé­cutivement dans le domaine de la censure, correspondait à un plan préétabli, parfaitement conséquent et réalisé avec constance. Il n”y a donc pas de «pro­blème de la censure », pas d”interrogations et l”accès aux archives ne risque pas de modifier les schémas qui-ont eu cours jusqu”à présent. Pourtant l”étude de certains épisodes tend à montrer que les décisions sont souvent des réponses pragmatiques à des problèmes précis. Elles peuvent être contradictoires, non lisibles de manière immédiate et sont à interpréter parfois dans un cadre poli­tique ou bureaucratique large. Enfin, il faudrait peut-être aussi prendre en compte l”existence de facteurs de « résistance», au sens très affaibli de Resistenz (littéralement «immunité», tentative pour rester imperméable aux injonctions idéologiques, ensemble de conduites d”évitement…[9]) de la part de ceux qui subissent contrôle et censure. Aussi, si le rôle de l”idéologie semble décisif, il ne permet cependant pas de rendre parfaitement compte de la totalité des phénomènes observés. Si la volonté de contrôle total constitue bien le cadre interprétatif général, elle reste peut-être une visée, jamais atteinte ni parfaite­ment réalisée, ce qui explique, si on se place au niveau de l”U.R.S.S., les constantes tensions qui ponctuent son histoire, ces cycles de répression/relâche­ment. Comme l”écrit Nicolas Werth, on constate la «permanence, tout au long de la période stalinienne, de fortes tensions entre un régime qui tentait d”étendre son contrôle à un nombre croissant de sphères de la vie sociale, et une société qui opposait une gamme infinie de “résistances” le plus souvent passives, expé­rimentait différentes stratégies de survie, mettait en œuvre des logiques de contournement ou d”évitement. Les difficultés du régime à maîtriser une société rétive alimentaient, à leur tour, la violence d”État[10]. » De cette façon, il devient possible d”intégrer un certain nombre de phénomènes laissés dans l”ombre par l”hypothèse totalitaire (son «angle mort» selon une formule de Marc Ferro[11]). En tout cas, certains des travaux sur les questions de contrôle idéologique qui paraissent aujourd”hui en Russie s”inscrivent dans cette perspective et proposent à l”occasion une vision renouvelée de certains épisodes connus.
Il n”est certes pas question, précise par exemple Denis Babicenko, de remettre en question la thèse globale selon laquelle le Comité central exerçait un contrôle idéologique sévère. Il s”agit de préciser chacune des composantes de cette thèse. Qui précisément au C.C.? À quel point ce contrôle était-il sévère? Comment s”exerçait-il ? En vertu de quelles considérations les œuvres étaient-
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elles interdites ? Qu”était l”Union des écrivains? Quelle était la position de ses dirigeants et de ses différents membres sur chaque question précise?[12].
Aussi l”étude de la censure en U.R.S.S. aurait-elle aujourd”hui un peu dépassé le stade des révélations individuelles pour poser le problème en termes institutionnels et administratifs larges, autour des problématiques de prises de décision, d”où l”émergence d”interrogations nouvelles et de recherches de plus en plus diversifiées, dans une perspective strictement chronologique. La censure en U.R.S.S. a une histoire: elle a été mise en place par étapes et a connu des évolutions aussi bien dans l”organisation de son appareil que dans ses rapports avec le Comité central. Ce qui se passe en 1917-1919 est différent de ce qui s”établit dans les années vingt-trente, de ce qui se développe pendant les années quarante et, à plus forte raison, de ce qu”on observe dans les années 1960-1980, même si pour chaque période, il y a des constantes. La difficulté majeure des études sur la censure tient à l”étendue du phénomène et à son caractère hétéro­gène, d”où la nécessité d”aborder le problème de manière circonscrite pour l”instant. C”est dire que les pages qui vont suivre ne prétendent pas apporter des réponses, mais s”en tiendront plus modestement à tracer quelques-unes des grandes lignes, susceptibles de faire avancer la recherche, compte tenu des tra­vaux déjà réalisés. Il sera essentiellement question du texte imprimé, pour les années 1920-1930, ce qui constitue déjà en soi une simplification notable. D”abord, la situation évolue entre le début des années vingt et la fin des années trente ; ensuite, certaines interventions brutales du pouvoir dans le domaine de l”écrit sont le plus souvent accompagnées d”ingérences dans d”autres secteurs artistiques et, enfin, l”imprimé englobe des réalités différentes, allant de la presse quotidienne aux revues spécialisées, des manuels à la littérature, etc.
La nécessité de spécifier tient aussi au fait que le terme de « censure » inclut, quand il s”agit de l”U.R.S.S., toutes sortes de choses et dépasse largement son sens en français, défini comme « l”exercice du droit de limiter, d”entraver, de condamner ou d”interdire la diffusion, l”impression ou la lecture de textes, surtout au moment de la diffusion ». Ainsi, le livre de H. Ermolaev, paru en 1997 et intitulé Censorship in Soviet literature 1917-1991[13]s”appuie-t-il sur un important corpus d”œuvres publiées en U.R.S.S. depuis le Train blindé 14-69 de Vs. Ivanov jusqu”aux Pierres noires de Zigulin. À partir de la comparaison des différentes éditions, l”auteur a cru pouvoir relever tous « les cas d”ingérence de la censure dans le texte », qu”il a répertoriés et classés selon des blocs théma­tiques. Cependant ce que H. Ermolaev a repéré n”est pas forcément le résultat d”une ingérence de la censure, mais peut aussi provenir d”un choix de l”auteur, facteur qu”il intègre, il est vrai, dans le cadre de Г auto-censure. Cela dit, les modifications subies par les textes, à commencer par les classiques du réalisme socialiste, lors de leurs rééditions successives, constituent un réel problème,
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même si la plus grande prudence s”impose lorsqu”il s”agit d”interpréter ces réécritures[14].
D”autre part, est-il légitime d”appeler « censure » le contrôle idéologique du parti? Certains ouvrages qui incluent les mots « censure », « censeurs » dans leur titre, s”intéressent en fait exclusivement à l”activité des secteurs de l”agit-prop du Comité central, voire aux interventions du Bureau politique ou de Staline, comme par exemple le travail de Denis Babiôenko sur la période 1939-1946, qui s”intitule Pisateli i cenzory sovetskaja literatura 40-x godov pod politiceskim kontrolem CK[15] et son recueil de documents de la même année, Istorija politiceskoj cenzury, 1932-1946. Le résultat de ces interventions s”appa­rente effectivement dans certains cas à la censure, puisque des œuvres, d”abord autorisées, sont interdites, mais ces mesures avaient un caractère exceptionnel et, dans certains cas, en particulier lors de l”organisation des « campagnes », une fonction autre que la censure stricto sensu, rôle qu”il faudrait essayer de mieux définir par rapport à ce qu”on pourrait appeler l”exercice routinier de la censure. D”autre part, lorsque ces interventions directes sont étudiées de près, on s”aper­çoit que les œuvres prises pour cibles sont parfois des prétextes, que les batailles sur le « front littéraire » masquent des règlements de comptes personnels entre membres du Bureau politique. C”est en particulier ce qu”a essayé de montrer D. Babiôenko pour 1946, suggérant que Zoscenko et Axmatova, les deux princi­pales victimes de la reprise en mains idéologique, n”avaient théoriquement ni plus ni moins de chances que d”autres d”être pris pour cibles[16]. Derrière cet épi­sode, il faudrait voir aussi le résultat des manœuvres de Malenkov, dirigées contre Zdanov, d”où le choix de Leningrad.
Ces éléments permettent de soulever un second problème qui se pose dans l”étude de la censure : les difficultés à la « localiser » et à identifier les véritables décideurs. Ce qui s”est mis en place en U.R.S.S. dans les années vingt est sans doute autre chose qu”un régime de censure préalable particulièrement dur. Il y a là un problème terminologique majeur non résolu (certains ont proposé le terme de vsecenzura[17]). On continuera sans doute, faute de mieux, à se servir du terme de censure, mais celui-ci aura tendance à englober, dans le cas de l”U.R.S.S., plusieurs pratiques, depuis la censure proprement dite jusqu”au contrôle idéo­logique du Parti, en passant par les interventions des organes de sécurité, selon les étages suivants (pour le domaine de l”imprimé)[18]:
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—  le premier niveau d”intervention (qui ne se met pas en place immédiatement), celui du «rédacteur[19]» de la maison d”édition ou du périodique, qui doit s”assurer de la parfaite conformité d”un manuscrit avant de le soumettre à
—  l”organe administratif central d”exercice de la censure (cenzurnoe vedomstvo), le Glavlit, institué par décret du Sovnarkom en 1922, mais peuvent
aussi intervenir
—  les organes de sécurité, qui ont gardé un secteur spécialement chargé du contrôle de ce qui était publié, malgré leur présence à l”origine au sein même du Glavlit par le biais d”un directeur-adjoint[20];
—  les secteurs chargés de l”idéologie au sein du Comité central[21], mais aussi le Bureau politique, le secrétaire ou les secrétaires, chargés de l”idéologie, le secrétaire général lui-même.
À cet ensemble s”ajoutent le rôle de l”Union des écrivains, à partir de 1934[22], et celui des autres organes exerçant aussi des fonctions de censure (Politotdel du Gosizdat, Glavpolitprosvet, censure militaire, etc.). Certains (R. Gui”, A. Bljum) incluent aussi l”auteur et son auto-censure comme premier niveau de censure, mais, s”il est vrai qu”à partir d”une certaine époque, l”autocensure peut apparaître comme déterminante, il est quasiment impossible d”arriver à la «mesurer » et donc bien délicat de l”intégrer à la chaîne des niveaux de contrôle.
D”autre part, ce n”est pas tant la multiplicité des acteurs qui rend le pro­blème complexe que le fait que ces différents niveaux d”intervention (excepté 1 et 2) ne sont pas mobilisés selon une procédure verticale régulée et ne consti­tuent pas une pyramide strictement hiérarchisée. Les procédures d”interdiction sont souvent difficilement lisibles; elles semblent chaotiques, imprévisibles, donnant plus l”impression d”une cacophonie bureaucratique (bjurokraticeskij sumbur) que d”une action parfaitement maîtrisée.
Quand on parle des cinq niveaux de contrôle (leur nombre pourrait être augmenté, il est question des plus importants), il ne faut pas se représenter de façon mécanique ce processus, comme un contrôle allant de bas en haut, de l”au­teur au sommet, écrit par exemple A. Bljum. Dans la pratique, l”activité des administrations et instances énumérées plus haut, s”imbriquait de façon extraor­dinaire : tracer entre elles une ligne de démarcation est impossible[23].
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Beaucoup d”études de cas débouchent sur des conclusions similaires[24], si bien que la volonté qui guide la plupart des chercheurs travaillant sur la question — localiser les prises de décision — est parfois mise en échec[25]. Il apparaît surtout que le contenu des textes incriminés est souvent un prétexte et que les interven­tions du Comité central en matière artistique, surtout quand elles débouchent sur des « campagnes », nous renseignent plus sur les impératifs politiques en géné­ral que sur l”existence d”une ligne culturelle ou esthétique. D”un autre point de vue, il pourrait être séduisant de porter ces effets de « cacophonie » au crédit de facteurs de Resistenz ou de conduites de contournement, de la part des auteurs ou des rédacteurs, mais rien de vraiment net ne peut pour l”instant être dégagé. Pourtant cette impression de confusion apparente ne doit pas masquer l”essen­tiel, l”efficacité de la « censure » dont les interventions, malgré des à-coups, entraînent une augmentation constante du champ des interdits[26].
Faudrait-il alors abandonner ce secteur, en le considérant comme sans perspective? Non sans doute. Il semble au contraire important de poursuivre le travail, en approfondissant par exemple l”étude de l”administration chargée de la censure, le Glavlit, même si son rôle peut, à partir d”un certain moment (mais encore faudrait-il arriver à préciser lequel), apparaître secondaire, la production passant par ses mains ayant déjà été contrôlée en amont, et si, pour des raisons parfaitement compréhensibles, les chercheurs semblent s”intéresser en priorité au contrôle idéologique du Parti.
L”étude du Glavlit a été entreprise par un historien de Saint-Pétersbourg, A. Bljum (né en 1933) qui a beaucoup publié sur la question et, en particulier, deux monographies qui couvrent son histoire jusqu”en 1953[27]. A Moscou, travaille également l”historienne T. Gorjaeva, nommée récemment à la direction du RGALI, qui, elle, s”est penchée sur la censure de la presse et de la radio, et qui a publié une volumineuse anthologie de documents[28]. Enfin, il faut signaler les recherches de l”historien de Nijni-Novgorod, M. Zelenov dont la spécia­lisation, — la censure de l”histoire du parti pendant les années vingt, est une
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bonne illustration de la nécessité, relevée plus haut, de travailler à la loupe, sur des sujets circonscrits[29].
La «Direction centrale chargée des affaires de la littérature et des édi­tions» près le Narkompros RSFSR ou en abrégé Glavlit («Glavnoe upravlenie po delam literatury i izdatel”stv pri Narkomprose RSFSR»), fut créée en 1922 par décret du Sovnarkom, en principe pour contrôler le secteur privé de l”édition, en plein essor depuis l”instauration de la NEP, et pour centraliser les différentes formes de censure qui s”étaient mises en place à partir de 1917[30]. Ce renforcement de la censure confirme ce qu”on sait du caractère contradictoire de la NEP où la libéralisation économique s”est accompagnée d”un renforcement de la «vigilance idéologique» (épisode de l”expulsion des 160 intellectuels en 1922). Quelles étaient les attributions du Glavlit? L”examen préalable des manuscrits, la délivrance de l”autorisation de publication, mais aussi la constitu­tion des listes d”œuvres interdites et autorisées. Les raisons invoquées pour pro­noncer une interdiction étaient les suivantes : propagande contre le pouvoir soviétique, diffusion de secrets militaires, informations mensongères, appel au fanatisme religieux et nationaliste, caractère pornographique. Cependant, étaient exemptées du contrôle du Glavlit toute la presse du parti, les éditions du Komintern, les éditions du Gosizdat, du Glavpolitprosvet (Narkompros), les Izvestija VCIK, les travaux de l”Académie des sciences. Par accord entre le Glavlit et les ministères, les publications des dits ministères pouvaient être aussi exemptées de son contrôle[31]. Des équivalents au Glavlit de Russie se mirent en­suite en place dans les autres républiques et il existait, dans chaque république, des divisions régionales et locales (leurs archives, conservées pour la période 1922-1938, constituent une source essentielle).
Une première évolution concerne l”extension du domaine que le Glavlit entend contrôler (cf. décret de 1931[32]), ce qui l”amène par exemple à des conflits avec le GPU dans les années trente autour du contrôle des éditions du Goulag[33]. D”autre part, on voit croître l”importance du secteur militaire dans ses attribu­tions, avec l”institution en 1933 de la fonction de « plénipotentiaire chargé de la protection des secrets militaires » près le Sovnarkom SSSR, cumulative avec celle de directeur du Glavlit[34].
Un autre élément mérite d”être relevé : il concerne le rattachement ministé­riel du Glavlit qui dépend du Narkompros RSFSR. Même si le Narkompros RSFSR avait tendance à étendre son pouvoir sur l”ensemble de l”U.R.S.S. et que, d”autre part, le Glavlit de Russie orientait la politique des «lity» républi-
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cains, celui-ci n”a de pouvoir qu”au niveau de la République de Russie, si bien qu”on relève des cas d”œuvres, interdites par le Glavlit de Russie, autorisées dans d”autres Républiques. Pour certains, il n”y a pas lieu de s”arrêter à cette question, le rattachement du Glavlit au Narkompros étant purement formel, les vraies instances supérieures étant le C.C. (cf. directive de 1923) et les organes de sécurité. Cependant, ce « détail administratif » est essentiel pour comprendre ce qui est une revendication constante de l”appareil du Glavlit (dont le C.C. se fait aussi le relais) dans les années trente, son désir d”accéder au statut d”instance nationale[35]. Même si l”acronyme « Glavlit » est utilisé pour toute la période, à partir de 1953, il ne se «déchiffre» plus comme auparavant, mais correspond à «Glavnoe upravlenie po oxrane voennyx i gosudarstvennyx tajn», le terme de voennyx tombe en 1966, et l”institution est définitivement abolie en 1991 (non sans lutte d”appareils), suite aux décrets du cabinet des ministres de I”U.R.S.S. du 13 avril 1991 et du 15 octobre 1991[36].
Dans le prolongement des études déjà existantes, en particulier celles de A. Bljum[37], le Glavlit pourrait faire aujourd”hui l”objet d”une étude institution­nelle systématique pour toute la période 1922-1991, avec examen détaillé des réformes successives, présentation de sa structure, de ses différents secteurs (7 à 11), de ses rapports avec les « lity » des autres républiques ainsi qu”avec ses sous-divisions régionales et locales. D”autre part, il pourrait être fécond d”entre­prendre une étude sociale de son appareil : composition du personnel, effectifs, origine sociale, niveau d”instruction, ancienneté, rémunération, âge, sexe… Il est cependant à craindre que des études de ce genre soient difficiles à réaliser, compte tenu de l”absence de données exploitables[38]. Un autre angle d”approche pourrait être aussi l”étude de la direction du Glavlit, en particulier de ses direc­teurs successifs[39].
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Peut-on maintenant essayer de présenter le travail effectif du Glavlit ? Il avait essentiellement deux fonctions : tout d”abord, veiller à ce que rien de reprehensible ne soit diffusé, c”est sa fonction principale de contrôle, mais c”est à lui aussi qu”incombait la tâche de constituer ensuite la synthèse, de dresser le bilan de toutes les interdictions, — c”est son rôle d”informateur. Au niveau du contrôle, la censure du Glavlit s”exerçait à trois stades: préalable (sur manus­crit), sur épreuves (posledujuščij), après publication. Le niveau décisif était celui de la censure préalable : tout manuscrit donnait lieu à la constitution d”un passe­port type, avec le nom de l”auteur, de l”édition (ou de la revue, du journal…), le sujet du travail, etc. Le censeur, guidé par des instructions générales et surtout par son propre flair, pouvait interdire complètement, mais le plus souvent, il proposait des coupures ou des modifications; sa conclusion était consignée dans ce passeport et dans deux exemplaires dactylographiés du manuscrit, l”un adressé à la maison d”édition (revue, journal…), l”autre restait au Glavlit. Après corrections et coupures, le manuscrit pouvait être composé. Mais le contrôle se poursuivait au niveau des épreuves (signaïnyj ekzempljar, verstka), soumises à une vérification sérieuse, confiée à un autre censeur : le contrôle à ce stade constituait aussi un élément décisif, compte tenu des changements de ligne incessants, des purges et arrestations…[40]. Mais les difficultés ne s”arrêtaient pas là : un texte ayant franchi ces deux premières étapes pouvait aussi être interdit après publication et confisqué. Dans ce type de pratique, les considérations de coûts cessent complètement d”être évoquées à compter des années trente. Si la coupure est l”intervention la plus couramment demandée, un autre moyen de pression consiste à réclamer une préface marxiste.
L”ensemble des corrections demandées et des coupures faisaient ensuite l”objet de synthèses qui étaient régulièrement envoyées à la direction du Glavlit et aux organes du Parti, à chaque niveau[41]. Dans ces listes, entrait aussi ce qui est considéré comme « coquilles », mais on sait que, dans certains cas, il est possible de s”interroger sur le caractère accidentel de ces erreurs et que celles-ci ne manquaient pas d”être interprétées comme actes de subversion politique, suivis de répression[42]. On touche ici au deuxième grand volet de l”activité du Glavlit, l”information, dans un secteur certes particulier et confidentiel, l”interdit. Cependant, ces circulaires, bulletins, etc. constituent un vaste ensemble qu”il faudrait pouvoir arriver à traiter de manière systématique, même si les séries sont incomplètes et qu”une partie importante de ce qui a été interdit a été détruit à jamais (manuscrits refusés dans les années vingt ou fiches établies
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par les censeurs). Dans les années vingt et jusqu”au début des années trente, certains de ces documents étaient publiés, en particulier dans les « Bulletins » du Narkompros, d”autres restaient strictement confidentiels ( 12 exemplaires adressés aux principaux responsables du parti). Selon A. Bljum, l”expression popast” v cirkuljar était employée par les écrivains comme synonyme de « mise à l”index »[43]. Ces documents du Glavlit énuméraient les sujets dont il était interdit de parler dans tous les domaines et dressaient la liste des œuvres inter­dites, comme des œuvres autorisées[44]; ils signalaient aussi les auteurs, éditions, revues etc. censurés. Certes, une partie importante des informations est destinée avant tout au Comité central (ou aux organes de sécurité) et peut donc être inter­prétée comme relevant de ses tâches subalternes, en tant qu”organe purement technique, soumis au C.C., mais, par l”établissement de cette base informative, le Glavlit participe activement à la constitution de ce qu”on pourrait appeler la culture de l”interdit. De la même façon, les censeurs ont certes sous la main des directives émanant du C.C., mais ces instructions sont très générales et ne leur permettent pas de disposer d”un modus operandi adapté à chaque cas[45]. Il leur faut agir de leur propre chef, d”où deux comportements possibles, soit une attitude plutôt bienveillante, soit au contraire, une tendance bien connue des pra­tiques administratives, le zèle de précaution, la perestraxovka. Celle-ci pouvait prendre des dimensions inquiétantes, au point de déclencher une intervention du Comité central, comme lorsqu”il crut devoir stopper la destruction frénétique d”ouvrages dans les bibliothèques, déclenchée par le Glavlit en 1937[46].
Ici se pose donc la question centrale de la place du Glavlit dans l”ensemble des pratiques de censure : doit-on le considérer comme un simple exécutant ou a-t-il un rôle propre ? Pour essayer de préciser les choses, il conviendrait sans doute d”envisager ses rapports non seulement avec les autres organes techniques de censure[47], mais aussi avec son ministère de rattachement, le Narkompros, et surtout avec le Comité central et les secteurs chargés de l”idéologie. Dans le premier cas, on ne dispose pas d”étude globale, mais il semblerait que le Narkompros ait beaucoup de mal à faire revenir le Glavlit sur ses interdictions. Ainsi une publication de A. Bljum montre que, malgré la demande expresse de Lunacarskij, le Glavlit maintient l”interdiction frappant la traduction du livre de Giraudoux Siegfried et le Limousin[48]Dans un autre cas, Lunaöarskij obtient que sa pièce soit autorisée, malgré l”interdiction du Glavrepertkom, mais pour cela il a besoin d”une intervention du C.C.[49].
En revanche, les rapports avec les secteurs du Comité central, chargés de l”idéologie et avec le Bureau politique semblent d”une autre nature. La création
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du Glavlit correspond à une décision du C.C. qui, dès 1923, trace les grandes règles qui doivent guider son travail, dans « Projet concernant les mesures pour agir sur le marché du livre»[50] et qui ensuite produit régulièrement des docu­ments de ce type. En outre, le C.C. peut faire parvenir à la direction du Glavlit des interdictions précises, suite à des « campagnes » ou interventions ponctuel­les de sa part que ce dernier se doit de répercuter. Les directeurs du Glavlit, nommés en théorie par le Narkompros, sont en réalité choisis par le C.C. ; cependant, le C.C. renonce, à partir de 1925, à avoir un de ses représentants es qualité au sein de la direction du Glavlit et semble plus soucieux d”agir à des niveaux inférieurs, dans la constitution du personnel[51]. Même si le Glavlit est l”objet de contrôles et de purges, comme toutes les autres administrations, en particulier en 1937, son travail n”est pas systématiquement vérifié par le C.C, ce qui tendrait à montrer qu”il est là surtout pour informer. Si l”on regarde les interventions du C.C. qui se rapprochent le plus de pratiques de censure, on constate qu”elles se situent en bout de chaîne et frappent le plus souvent des œuvres autorisées par le Glavlit et publiées[52]. Le rôle du C.C. apparaît un peu comme celui d”un super-censeur, dernier tamis, triant une production déjà contrôlée et autorisée. Il en est ainsi, par exemple, du récit de Pil”njak, publié dans Novyj mir en 1926, «Conte de la lune non éteinte» et interdit par une résolution du Bureau politique qui exige la confiscation de tous les exemplaires du numéro incriminé. Suite à cette résolution, le Glavlit diffuse une note inter­disant que soit désormais acceptée toute nouvelle œuvre de Pil”njak dans les «grosses revues » soviétiques et demandant même que le nom de l”écrivain soit rayé de leurs comités éditoriaux le cas échéant[53]. Un même scénario frappe les textes satiriques de N. R. Erdman et V. Z. Mass, publiés dans l”almanach de Gor”kij, la Seizième Année, en 1933. Ils sont repérés par l”agitprop du C.C. qui les signale aux secrétaires, dont Staline par une note du 22 mai 1933 : décision suit le 25 mai 1933, le Bureau politique demande que l”almanach soit expurgé et adresse un blâme au censeur du Glavlit qui a manqué de vigilance ; dans son rapport d”activité, le censeur, D. Romanovskij, fait son autocritique[54]. Et l”on pourrait donner d”autres exemples, comme la mesure d”interdiction frappant un recueil d”Axmatova publié en 1940. Exceptionnellement, le C.C., Staline, peu­vent obliger le Glavlit ou le Glavrepertkom à revenir sur leurs interdictions,
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comme dans le cas de la pièce de Bulgakov, les Journées des Tourbine, à nouveau autorisée en 1932.
Ces interventions du C.C. montrent qu”il est difficile de considérer le Glav-lit comme le décideur ; il serait plutôt « l”appareil technique du parti, accomplis­sant les directives venues d”en haut. À chaque fois que des manquements étaient constatés dans son travail, son activité était l”objet de l”attention la plus soute­nue, que l”affaire concerne un écrivain ordinaire ou un communiste[55]». Cependant, l”histoire institutionnelle du Glavlit montre aussi, dans les années vingt et trente, un processus de constitution d”une administration qui cherche à acquérir son autonomie face au Narkompros, à étendre sa sphère de compétence et voit un gonflement important de son appareil. Cette évolution n”est pas recti-ligne, elle connaît des à-coups, des hésitations, comme en ce qui concerne le statut d”une partie des censeurs : doivent-ils rester dans l”appareil du Glavlit ou doivent-ils être directement rattachés aux éditions dont il ont le contrôle[56]? Ces hésitations tendraient à indiquer que le travail des censeurs ne saurait être assi­milé à celui d”un simple rouage. D”autre part, si, à l”origine, le Glavlit doit contrôler essentiellement ce qui est considéré comme a priori hostile au régime, publications non communistes, de l”émigration etc., il tend ensuite à vérifier la totalité de ce qui peut être produit en U.R.S.S., y compris ce qui émane de l”ap­pareil d”Etat, voire du Parti. Son rôle ne se limite pas non plus à la production contemporaine ; il censure aussi la réédition des classiques[57] et même de la litté­rature soviétique officielle, les traductions, épure les bibliothèques[58], les biblio­graphies etc. La constitution de dossiers tout prêts dont peut disposer le C.C. à tout moment est un facteur non négligeable, qui doit être pris en considération, quand on examine par exemple la liste des auteurs qui ont été l”objet des persé­cutions les plus systématiques.
Ces quelques éléments montrent que l”étude de la censure, en particulier de l”administration qui en est chargée, a autant à voir en U.R.S.S. avec l”histoire de la constitution de l”appareil d”État qu”avec l”histoire de la littérature ou de la culture en général, ce qui explique que le domaine soit exploré essentiellement par des historiens. Cependant, ce régime de contrôle et de censure particulière­ment dur fait partie du cadre institutionnel de la littérature (de la culture) après 1917 et entre au nombre des facteurs qui ont radicalement modifié son fonction­nement. Aussi, est-il nécessaire de réfléchir à la façon dont il pourrait être inté­gré à une histoire de la littérature de la période soviétique, cherchant à apprécier, sur la durée, l”évolution littéraire (en termes tynianoviens). Autrement dit, comment faire pour parler de la censure autrement que lorsqu”un créateur se heurte à son veto? Peut-on déjà envisager la constitution d”un équivalent litté-
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raire de Iz´´jatoe kino[59] et comment intégrer ensuite toute la couche de l”interdit à l”histoire de la littérature russe de la période soviétique, y compris dans son interaction avec la couche publiée, autrement qu”en dressant la liste des pro­scriptions[60]? Telles sont quelques-unes des interrogations que suggère aujour­d”hui le développement des études sur la censure littéraire à la période sovié­tique et qui font partie, me semble-t-il, des questions majeures à résoudre[61].
PRINCIPAUX OUVRAGES SUR LA CENSURE MENTIONNÉS DANS CET ARTICLE
ARTIZOV A., NAUMOV O., éd., Власть и художественная интеллигенциядокументы ЦК РКП(б)-ВКПб), ВЧКОГПУНКВД о культурной политике, 1917-1953 гг., М., Meždunarodnyj fond «Demokratija» (Rossija, XX vek : dokumenty), 1999, 868 p.
BABIČENKO D., Писатели и цензоры : советская литература 1940-х годов под поли­тическим контролем ЦК, М., Rossija molodaja, 1994, 174 p.
BABIČENKO D., éd., Литературный фронт : история политической цензуры, 1932-1946: сборник документов, M., Èncyklopedija rossijskix dereven”, 1994, 273 p.
ID., « Счастье литературы » : государство и писатели, 1925-1938: документы, М., Rosspen, 1997,319 p.
BLJUM А., За кулисами «Министерства правды» : тайная история советской цензуры 1917-1929, SPb., Akademiòeskij proekt, 1994, 320 p.
Еврейский вопрос под советской цензурой, 1917-1991, SPb., Peterburgskij Evrejskij universitet, 1996, 185 p.
Советская цензура в эпоху тотального террора, 1929-1953, SPb., Akademičeskij proekt, 2000, 312 р.
BLJUM A., VOLOVNIKOVV., éd., Цензура в СССР: документы, 1917-1991, Bochum, 1999.
ERMOLAEV H., Censorship in Soviet literature, 1917-1991, Lanham – Boulder – New-York – London, Rowman and Littlefield, 1997.
GORJAEVA T. M., éd., История советской политической цензуры, M., ROSSPEN, 1997, 672 р.
GORJAEVA T. M., Радио России: политический контроль советского радиовещания в 1920-1930 гг. : документированная история, М., ROSSPEN, 2000, 175 р.
ZELENOV M.V., Аппарат ЦК РКП(б)-ВКПб), цензура и историческая наука в 1920-е годы, Niznij Novgorod, 2000, 549 p.
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SUMMARY
ABOUT SOME RECENT WORKS ON LITERARY CENSORSHIP
IN THE SOVIET UNION (1917-1953)
The article is based on some recent works concerning literary censorship in the Soviet Union (1917-1953). It focuses on the major issues emerging in this field of research, situated at the crossroads of several disciplines and marked by historiographical debates about the nature of the Soviet regime. In this perspective, one must study more thoroughly the institu­tional history of the administration in charge of censorship in the USSR, the Glavlit (founded in 1922), in order to evaluate more accurately its role and importance. In the future, it seems necessary to show how censorship could be integrated into a history of the Russian literature of the Soviet period, not only as an element of this literature”s institutional workings, but also as a factor of internal evolution.
 
(CERCS, université Michel de Montaigne – Bordeaux 3)
REVUE DES  ÉTUDES  SLAVES  TIRÉ  À  PART / PARIS; INSTITUT  D’ÉTUDES  SLAVES Rev. Étud. slaves, Paris, LXXIII/4, 2001, p.651-665.
материал размещен 22.08.2006

[1] Le texte qui suit reprend dans ses grandes lignes des exposés faits en 2000 au séminaire sur le réalisme socialiste de M. Aucouturier et, en 2002, au séminaire du Centre d”études du Monde russe, soviétique et postsoviétique (EHESS – CNRS, Jutta Scherrer, Wl. Berelowitch, A. Blum).
[2] Couplet satirique composé par Jurij Tynjanov à la fin des années vingt, cité par R. Jakobson, « Tynjanov à Prague», Selected writings, t. 5, 1979, p. 567.
[3] Une des principales exceptions était constituée par certains dossiers des «archives de Smolensk», cf. H. Ermolaev, Censorship in Soviet literature, 1917-1991, Lanham – Boulder – New York – London, 1997, p. 305-306; pour une liste des principaux travaux occi­dentaux sur la censure, voir aussi la bibliographie dans ce même ouvrage.
[4]Pour un aperçu bibliographique, cf. M. V. Zelenov, M. Dewhirst, « A selected bibliography of recent works on Russian and Soviet censorship», Solanas, L 11, 1997, p. 90- 98 (je remercie M. Zelenov de m”avoir adressé cette publication).
[5] Sans compter que les publications de documents sont loin d”être irréprochables tant sur un plan textologique qu”historique (lignes sautées, dates erronées, manque de rigueur dans la sélection des textes publiés…).
[6] Cf. Фонды Государственного архива Российской федерации по истории СССР: путеводитель, t. 3, éd. S. V. Mironenko, M., 1997, p. 298-300. Réponse donnée aux chercheurs : « Архив не сохранился ».
[7] О. V. Xlevnjuk, Политбюро: механизмы политической власти в 1930-е годы, М., Rosspen, 1996. Trad. fr.: le Cercle du Kremlin: Staline et le Bureau politique dans les années trente: les enjeux du pouvoir, Seuil (Archives du communisme), 1996. Voir également, Сталинское политбюро в 30-е гг., сб. документов, éd. О. V. Xlevnjuk, А. V. Kvašonkin, L. Р. Košeleva, L. A. Rogovaja, M., Airo XX, 1995.
[8] Sur ce débat, voir N. Werth, « De la sovietologie », in Nazisme et communisme deux régimes dans le siècle, Paris, Hachette littératures, 1999, p. 224-237 (première parution de cet article dans le Débat, 1993); voir dans le même ouvrage, l”introduction de M. Ferro, «Nazisme et communisme: les limites d”une comparaison», p. 11-37.
[9] Cf. N. Werth, dans Stalinisme et nazisme, éd. H. Rousso, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 146. Ce concept très controversé (à distinguer du Widerstand, résistance active) a été proposé par l”historien allemand du nazisme Martin Broszat pour essayer d”affiner l”analyse des comportements de la société allemande face au régime de Hitler.
[10] Werth, dans Stalinisme et nazisme, p. 151-152.
[11] Ferro, art. cit., p. 12: «Or ce concept [le totalitarisme], plus descriptif qu”expli­catif, qui définit des régimes politiques selon leur essence, occulte une dimension essentielle: la façon dont les sociétés les ont vécus, en ont été partie prenante. Partant du constat que ces régimes ont incorporé la société, on a conclu à une pure et simple annihilation de celle-ci, on s”est focalisé sur les caractères politiques du nazisme et du communisme, en détachant leur essence de tout ancrage social, comme si celui-ci avait disparu, une fois les régimes mis en place. Il y a là un angle mort des études sur le totalitarisme; pire un point aveugle qui en hypothèque la compréhension.»
[12] Babičenko, Писатели и цензоры…, р. 5. Même perspective dans la thèse de Natacha Laurent sur le cinéma soviétique de l”après-guerre, l”Œil du Kremlincinéma et censure en U.R.S.S. sous Staline, Toulouse, Privat, 2000 (voir с. г. infra).
[13] Compte rendu par A. GaluSkin, dans Новое литературное обозрение [plus loin НЛО], n° 28, 1997, p. 420-423. Professeur à l”université de Princeton, H. Ermolaev est l”auteur de nombreux travaux sur la littérature soviétique, dont, en particulier, Soviet literary theories, 1917-1934: the genesis of Socialist Realism, 1963, et Mikhail Sholokhov and his art, 1982.
[14] Cf. la contribution de M. Niqueux à ce numéro.
[15] M., 1994. Dans sa thèse, d”où est tiré l”ouvrage, le nom de «censure» ne figurait pas, cf. infra.
[16] D. Ваbičеnко, ЦК ВКП(б) и советская литература : проблемы политиче­ского влияния и руководства, 1939-1946: автореферат диссертации…, М.,   1995, р. 30.
[17] Cf. История советской политической цензуры, éd. T. M. Gorjaeva, M., ROSSPEN, 1997, p. 7. Plus loin История…
[18] Cf. A. Bljum, Советская цензура в эпоху тотального террора, 1929-1953, SPb., 2000, р. 14-25. Plus loin, Блюм 2000. Voir aussi Ваbičеnkо, Писатели и цензоры…, р. 148. R. Gul´ avait déjà proposé un schéma voisin dans l”article « Писатель и цензура в СССР» (1938), repris dans Одвуконь: советская и эмигрантская литература, New York, 1973, p. 185.
[19] Terme que M. Niqueux propose de traduire par « réviseur » et qui ne se limitait pas à une personne, mais pouvait aller du recenzent au glavnyj redaktor, zavredakciej… Il serait important à repérer le moment où c”est à ce niveau que s’effectue l”essentiel du contrôle, le Glavlit ne recevant plus alors qu”une production épurée. Le corps des rédacteurs pourrait aussi faire l”objet d”une étude de groupe, afin de voir s”il est possible d”en parler comme d”un milieu, avec ses règles, ses pratiques, etc. Une des premières à lever le voile sur le travail réel des « rédacteurs » a été L. K. Čukovskaja. Parmi les publications récentes, cf. VI. Matusevič, Записки советского редактора, M, 2000.
[20] История советской политической цензуры,  р. 36 (point 6), et Bljum Советская цензура…, р. 17-22.
[21] Mise en place dès 1920 de l’ «Agitpropotdel CK», constantes réorganisations ensuite et étape décisive avec l”organisation de l”UPA [Управление пропаганды и агита­ции ЦК ВКП(б)] en 1939.
[22] On rapelle que les autres unions professionnelles ne se mettront en place que progressivement: architectes 1937, compositeurs 1948, artistes 1957, journalistes 1959, cinéastes 1965, gens de théâtre 1986.
[23] Bljum, Советская цензура…, p. 25.
[24] Cf. par exemple la publication récente de C. Vaissié, «Littérature et pouvoir soviétique», Communisme, n° 65-66, 2001, p. 8, p. 10-11, à propos des difficultés rencontrées par V. Grossman au moment de la publication de Pour une juste cause.
[25] On peut se demander à la limite si cette interrogation même est pertinente, le propre des fonctionnements bureaucratiques étant l”opacité, la tendance à diluer précisément toute responsabilité, à masquer toute prise de décision.
[26] À ce sujet, cf. la contribution très intéressante de B. Dubin, « О технике упрощенчества, и его цене », in Слово, письмо, литератураМ., 2001, р. 273-278.
[27] За кулисами «Министерства правды» : тайная история советской цен­зуры 1917-1929, SPb., 1994, et Советская цензура в эпоху тотального террора, 1929-1953, SPb., 2000, travaux qui s”appuient essentiellement sur l”exploitation des fonds de la division régionale du Glavlit à Leningrad. Un troisième volume, devant aller jusqu”en 1991 est en préparation. Cf. également, du même auteur, Еврейский вопрос под советской цен­зурой, 1917-1991, SPb., Peterburgskij evrejskij universitet, 1996, et un volume de docu­ments, paru à Bochum en 1999 (en collab. avec V. G. Volovnikov).
[28] История советской политической цензуры et T. M. Gorjaeva, Радио Рос­сии: политический контроль советского радиовещания в 1920-1930 г. : документи­рованная история, М, ROSSPEN, 2000.
[29] M. V. Zelenov, Аппарат ЦК РКП(б)-ВКП(б), цензура и историческая наука в 1920-е годы, Niznij Novgorod, 2000 (с. г. : НЛО, n° 49, 2001, р. 501-504).
[30] Cependant les structures déjà existantes, Politotdel du Gosizdat, Glavpolitprosvet, censure militaire, censure du GPU etc. ne disparaissent pas pour autant. Un an plus tard, était fondé le Glavrepertkom, dépendant du Glavlit, et chargé plus spécialement du contrôle des spectacles et du cinéma. L”histoire du Glavrepertkom reste elle aussi à écrire, même si elle interfère à l”occasion avec celle du Glavlit, mais les secteurs chargés du contrôle des spec­tacles, ainsi que du cinéma constituent deux sphères spécifiques qui demandent à être étudiées séparément, au moins dans un premier temps.
[31] История советской политической цензуры, р. 35-36.
[32] Ibid., p. 57-59. Par ce décret est aussi institutionnalisée l”existence d”un corps de «plénipotentiaires» du Glavlit, directement affectés aux éditions qu”ils contrôlent (point 4).
[33] Bljum, Советская цензура…, р. 18-19.
[34] История советской политической цензуры, р. 60.
[35] Ce qu”il obtient une première fois en 1953, puis de façon définitive, en 1966. Lorsqu”est instituée en 1933 la fonction de «plénipotentiaire… près le Sovnarkom», une partie de l”appareil du Glavlit est directement rattachée au Sovnarkom SSSR. On assiste ensuite, entre 1936 et 1939, à des tentatives pour faire sortir tout l”appareil du Glavlit du Nar­ kompros et pour le rattacher directement au Sovnarkom SSSR. Entre mars et octobre 1953, le Glavlit dépend un court moment du MVD ; entre 1953 et 1963, il est rattaché au Conseil des ministres de I”U.R.S.S. ; entre 1963 et 1966, il dépend du Comité de la presse près le Conseil des ministres ; en 1966, il est rattaché définitivement au Conseil des ministres.
[36] Elle s”appelait alors «Агентсво по защите государственных секретов в средствах массовой информации при Министерстве информации и печати СССР ».
[37] Cf. également À. Ju. Gorceva, «Главлит: становление тотальной цензуры», Вестник МГУ, Серия 10: Журналистика, t. 2, 1992, р. 32-40, et M. A. Fedotov « Был ли разрушен “новый Карфаген” ? », in Политические институты и обновление обще­ства, М, 1989, р. 185-194, et Ermolaev, op. cit.
[38] Bljum, Советская цензура…, р. 49: «Крайне сложно установить общее количество цензоров, работавших в системе Главлита. Эти данные подлежали засекречиваню.» Quelques rapports d”activité ont bien été publiés, mais leurs données ne sont guère exploitables, cf. par exemple, История советской политической цензуры, р. 318-329 (1939), p. 345-347 (1947), p. 348-351 (1950).
[39] A la tête du Glavlit, se trouvent à l”origine un zavedujuscij (plus tard nacainik), nommé par le Narkompros (en fait par le C.C), et deux directeurs-adjoints, un nommé par le GPU et le second par le Revvoensovet (importance de la défense et protection des secrets militaires). Dans le décret de 1931, on ne parle plus que du « collège » du Glavlit. Ont été successivement directeurs du Glavlit pour la période qui nous intéresse : P. I. Lebedev-Poljanskij (1922-1931), même si à l”origine avait été nommé N. L. Meščerjakov, В. M. Volin (1931-1935), S. Ingulov (1935-1938), N. G. Sadčikov (1938-1946), K. K. Omel”čenko (1946-1957). Tous sont des bolcheviks, pour certains de longue date; jusqu”à Sadčikov, ils ont eu des contacts avec le monde des lettres ou le journalisme.
[40] Cf. note du 22 février 1936, «О чтении сигнальных экземпляров» (Bljum, Советская цензура…, р. 41).
[41] Cf. par exemple « Декадные сводки важнейших вычерков предварительной цензуры и обнаруженных последующим контролем нарушений политико-идеологи­ческого характера… » (ibid., р. 38).
[42] D”où la panique de ceux qui croyaient avoir laissé passer une faute, cf. la très belle scène du film le Miroir de A. Tarkovskij. Exemples de « coquilles », relevées par les censeurs, dans История советской политической цензурыр. 321, 323-324. Autre exemple (1935) cité par A. Bljum, Звезда,  1993, n° 11, p. 176: «О вреде от чтения советских книг… », sovetskix ayant été mis à la place de svetskix
[43] Cf. Bljum, За кулисами «Министерства правды»…, р. 129.
[44] Exemples de circulaires et d”interdictions, ibid., p. 100-101, 124, 125-127, 128, 132-133; du même auteur, «Художник и власть», Звезда, 1994, n° 8, p. 81-90, et Исто­рия советской политической цензуры, р. 429-432. En ce qui concerne les circulaires énumérant les sujets interdits, il serait bon de vérifier leur zone réelle d”application.
[45] Cf. à ce sujet les remarques de S. Pečerskij dans l”article «Цензурская правка Голубой книги M. M. Зощенко », Минувшееt. 3, 1991, p. 355-391.
[46] Власть и художественная интеллигенция, éd. A. Artizov et О. Naumov, M., 1999, p. 383-384.
[47] En particulier, censure militaire, Gosizdat, Glavpolitprosvet…
[48] A. Bljum, « Из переписки А. В. Луначарского и П. И. Лебедева-Полян­ского », De visu, 1993, 10 (11), p. 16-23. Cf. aussi Bljum 2000, p. 46.
[49] Власть и художественная интеллигенция, р. 47-48.
[50] «Проект постановления политбюро ЦК о мерах воздействия на книжный рынок», in История советской политической цензуры, р. 48-50. Selon M. Zelenov, le texte est daté par erreur de 1925.
[51] Cf. Zelenov, op.cit., p. 264-271. C”est sans doute ce chercheur qui a creusé le plus systématiquement la question des rapports entre le C.C. et le Glavlit, à partir d”une base documentaire impressionnante, incluant les archives locales du Glavlit (Nijni-Novgorod) ; son travail par la force des choses est limité aux années vingt et au contrôle de l”histoire du parti. Voir aussi Michael S. Fox, « Glavlit, censorship and the problem of Party policy in cultural affairs, 1922-1928 », Soviet studies, t. XLIV, 1992, fasc. 6, p. 1045-1068.
[52] Même chose pour les pièces ou les films.
[53] Счастье литературы: государство и писатели, 1925-1938: документы, éd. D. Babičenko, M., ROSSPEN, p. 25-26. Repris dans Власть и художественная интел­лигенция, р. 66-67.
[54] История советской политической цензуры, р. 465. Cf. aussi Счастье литературы…, 1997, р. 158-159; Власть и художественная интеллигенция, р. 200-201, 202, 207. Sur la suite, cf. l”article de A. Berelowitch dans ce numéro.
[55] E. Dinerštejn, «Политбюро в роли верховного цензора: к истории одной публикации », НЛО,  32, 1998, р. 397. Comparer avec Zelenov, op. cit., p. 301.
[56] Rattachés à partir de 1931 aux éditions qu”ils contrôlent, ils semblent avoir pris trop de liberté par rapport au Glavlit, cf. note d”Andreev à Staline de 1936, История советской политической цензурыр. 67.
[57] А. Р. Čudakov a ainsi comptabilisé environ 500 coupures dans l”édition soviétique de la correspondance de Čexov, cf. Литературное обозрение1991, n° 11, p. 54. Voir aussi, Bljum, Советская цензура…, р. 149-179.
[58] Ce domaine a fait l”objet de nombreuses études, Bljum, Советская цензура…, p. 94-123.
[59] Cet ouvrage de E. Margolit et V. Smyrov, paru à Moscou en 1995, répertorie tous les films interdits pour la période 1924-1953.
[60] Quelques suggestions dans X. Izmajlov, «Изъятая литература как феномен литературного процесса », Вопросы литературы, 1991, n° 1, р. 77-100.
[61] Sans compter bien entendu la nécessité de se pencher également sur la censure sous l”Ancien Régime, cf. à ce sujet les quelques éléments suggérés par A. Rejtblat, dans Цензура в царской России и Советском союзе: материалы конференции, М., 1995, р. 29-31.

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